|
|
||||||||||||||
|
|||||||||||||||
|
par l'abbé Frédéric Tallec et l'abbé Meriadeg Herrieù, 1994
1. GÉOGRAPHIE ET TOPONYMIEEn avancée sur la rive gauche, la plus échancrée du bras de mer d'Étel en territoire Vannetais, la paroisse de Locoal se sépare en deux tronçons distincts qui furent jadis des îles, reliées aujourd'hui au littoral par d'étroites chaussées. La rivière salée d'Étel se divise en effet en trois branches au dessus de Belz : - La branche de l'Est se nomme « STER SANT YEHAN » : rivière de Saint-Jean, en raison de la chapelle dédiée à ce saint qui s'élève sur ses bords, au hameau de Kervarec en Locoal (hameau disparu). - La branche de l'Ouest ou « STER-LOSTENG » rivière de Nostang. - Et la branche du milieu dite « STER EN ISTREC » : rivière de l'Huîtrière, parce que la pointe Nord du village de Penninéz abondait jadis en huîtres. La branche de l'Ouest ou de Nostang et celle du milieu ou de l'Huîtrière forment une presqu'île à l'extrémité de laquelle se trouve le village du Verdon et au centre celui du Plec et du Roc, anciennement dénommé « Belle-Ile ». La rivière de l'Est ou de Saint-Jean et celle du milieu ou de l'Huîtrière se rejoignent également pour former l'île de Locoal qui comporte le bourg en son centre et deux pointes opposées : l'îlot de la Forêt, au Sud, et le village de Penninéz, au Nord. Fortunées en raison de leur position côtière, de leur site et de l'industrie ostréicole qui s'est développée dans leurs anses abritées, ces deux presqu'îles constituent de charmantes oasis, couronnées de bosquets verdoyants. PLÉG ET PLÉGIGOnt-elles, dans les temps anciens, abrité des villas gallo-romaines ou des maisons de plaisance moyenâgeuses ?... On peut le supposer par les noms de « Plec » et de « Plecit » (Plessis : lieux qui plaisent et où l'on se plaît) qu'elles portent, à moins que ces toponymes, dérivés du breton, ne désignent tout simplement des langues de terre repliées sur elles-mêmes : « plég - plégig ». Quoi qu'il en soit, exposées sur les rives de l'Étel, elles furent habitées dès une époque lointaine. On y signale, il est vrai, que deux monuments préhistoriques : un tumulus à Kerblei et un autre à Kergoual, mais quantité de pierres ouvragées et de retranchements. ARRIVÉE DE SAINT GOALLa statue de Saint-Goal au choeur de l'église de LocoalPlacés à l'écart des grandes voies de communication, elles devinrent, comme l'île de Saint-Cado en Belz, des lieux de prédilection pour les saints moines bretons lorsqu'ils débarquèrent en Armorique au VI-VIème siècle. Un ermite Goal a laissé son nom attaché à ce territoire où il séjourna plusieurs années avec ses disciples et où il fut inhumé. Même si le préfixe « Loc » ne remonte qu'au XIIème siècle, au dire des spécialistes de la question, ce saint moine occupait les lieux plusieurs siècles auparavant. Il y arriva, croit-on, aux environs de l'an 630, venant de Grande-Bretagne directement ou après une halte sur la côte Nord du pays. On l'identifie, en effet, généralement avec Saint Gudwal, ou Gurval, évêque de Saint-Malo. ETYMOLOGIEQuant aux vocables de « Mendon », et du « Verdon » (village de la pointe de Plec), ils paraissent avoir une résonance celtique ou gallo-romaine. Un étymologiste averti, les fait dériver du vieux terme celtique « dunum » signifiant : citadelle, forteresse, et de deux qualificatifs latins « verum » et « minus ». Le Verdon voudrait dire : « verum-dunum » : la vraie, la principale forteresse , Mendon : « minus-dunum » : la citadelle moindre, plus petite. C'est tout à fait vraisemblable.
2. HAGIOGRAPHIE ET HISTOIRE :A. VIE DE SAINT GOALSaint-Goal, appelé aussi Gudual et Gurval, naquit vers l'an 590 en Grande-Bretagne, dans la région dénommée « pays de Galles ». Il était, croit-on, issu d'une famille noble et fortunée. Dès la plus tendre enfance, son éducation fut confiée aux moines de Lancarvan, monastère du cerf, ou, peut-être, de Saint Cadvan ou Cado, fondé en tout cas par ce dernier dans la province de Cambrie, comté de Glamorgan. Il y avait 45 ans que Saint Cado avait quitté Lancarvan (vers 565), lorsque le petit Goal y arriva, aux alentours de l'an 600. L'Abbé du monastère était alors Saint Brendan, le plus réputé des éducateurs du pays depuis la mort de Saint Iltud. Sous sa sage direction, Goal s'adonna à l'étude, à la prière et fit de rapides progrès en science et en vertu. Devenu jeune homme, il se fait moine dans cette abbaye, avant de devenir lui-même, vers 620, Abbé du célèbre monastère qu'il contribue à doter de ses biens.
UNE VOCATION D'ERMITENous sommes en l'an 627, Goal a maintenant 37 ans. Le 16 novembre de cette année, mourait, exilé en Saintonge, Saint-Malo, évêque d'Aleth en Armorique qui, ayant eu le jeune Goal comme condisciple à Lancarvan, l'avait désigné pour son successeur. On vint donc le chercher en Grande-Bretagne, dit une tradition ancienne et digne de foi, et, après bien des hésitations, le Saint Abbé finit par accepter. Mais au bout d'une expérience d'un an et quatre mois, en mai 629, sentant qu'il n'était pas fait pour l'épiscopat, il laisse sa charge de pasteur à son vicaire général, pour se retirer dans la solitude. Il s'établit avec quelques prêtres à Guer qui faisait alors partie du diocèse de Saint-Malo. Il construit en cette localité, qui l'honore toujours comme patron, un petit monastère. On peut encore voir aujourd'hui, au village de la Grande Abbaye, dans la paroisse de Guer, la chambre dite de Saint Gurval, qui présente trois assises de construction en feuille de fougère ou en arête, faites de briques peu épaisses et séparées par des cordons de briques Semblables. C'est ce que le Morbihan possède de plus ancien en fait de constructions religieuses. L'ÎLE
PLECIT
|
|
|
La chapelle Saint Jean
Posé sur le tabernacle, un christ en croix, aux bras relevés, se détache sur un petit vitrail de Pierre Toulhoat, la fenêtre s'encadre entre des colonnes de bois, flanquées d'ailerons très étroits, témoins d'un retable disparu. Sur les côtés, le lambris a été refait mais on a maintenu les statues de la Vierge à l'Enfant et de Saint-Goal, touchantes par leur naïveté.
Plus bas, sur des bahuts se tiennent une statue du jeune Jean Baptiste qui porte une grande croix peinte en noir et montre l'Agneau à ses pieds et une autre en plâtre de la Vierge Immaculée.
Sur le plan de 1665, on distinguait encore, avant le pont, un petit oratoire qui devait être dédié à Saint-Goal car la bordure côtière conserve son nom. Au delà du pont se dressent deux petits monuments assez remarquables : une stèle et une croix.
Bien qu'assez proche de Locoal à vol d'oiseau, il faut un long détour pour atteindre la chapelle de Sainte Brigide dans la presqu'île du Plec. A l'entrée, dans le marais qui recouvre parfois la mairie, se dresse une haute stèle cylindrique que les gens du pays ont eu tôt fait de surnommer « la quenouille de Brigide » (gourhed Berhed en breton). (Voir photo plus loin, en suivant ce lien)
La chapelle Sainte Brigitte du Plec
Mais de quelle Brigitte s'agit-il ? L'église honore plusieurs saintes de ce nom dont les deux plus illustres sont la fondatrice du monastère de Kélderre en Irlande, patronne secondaire de ce pays et la veuve du roi de suède devenue moniale, célèbre par les révélations dont elle fut privilégiée.
La chapelle possède deux statues très dissemblables : l'une très grande, porte une coiffure à plumet, sa robe à larges plis est serrée d'une ceinture et une collerette tuyautée se rabat sur son manteau ; à la main droite, elle tient une plume d'oie et sous son bras gauche, serre un livre. Il s'en dégage une impression de majesté tranquille. L'autre, plus courte, plus trapue, s'impose par son air d'autorité. C'est une vigoureuse matrone à l'air décidé ; un voile retombe sur ses épaules et son ample manteau, relevé sur le bras gauche, enveloppé de son large drapé, la longue robe aux plis accusés, elfe aussi tient un livre, cette fois ouvert : Livre de la règle ou livre des révélations.
Le choix demeure entier. Le cantique en breton comme en français a opté pour Brigitte de Suède plus récente et mieux connue.
La chapelle restaurée, est des plus simples : plan rectangulaire, murs en moellons, devenus apparents, clocheton sur le pignon occidental auquel on accède par un escalier sur le rampant méridional. Les baies s'ouvrent en plein-cintre ; légèrement chanfreinée, la porte du midi est sans doute plus ancienne. La toiture a été refaite et l'ancienne voûte étoilée a disparu, laissant voir la charpente à nu, sur l'endroit du mur nord se détache un écu en pierre tendre avec une crosse en pal. Il figure une croix laturé aux extrémités pattées, accompagnée de trois tiges fleuries, l'une en chef et une en pointe, blason de quelque abbé commendataire.
Au pignon de la chapelle se voit un gros bloc, assez informe qui porte gravé le nom de JAGU, forme très ancienne, et trois cupules.
Photo ci-après, en suivant ce lien
La fontaine se trouve un peu plus loin vers le sud. Elle est de même type que celle de Locoal et on s'y rend pour le pardon le premier dimanche de Mai.
Une seconde chapelle, de vocable inconnu, dont les archives n'ont pas conservé le souvenir, s'élevait au village de Kerblei, dépendant peut-être de Mendon à l'époque. La pierre d'autel est encore là, servant de base à une ancienne croix monolithe cassée à mi-hauteur et restaurée vers 1955 par le recteur A. CONAN. Une fontaine rappelle aussi l'existence du sanctuaire.
Enfin, le village de Kergoal, où aborda, semble-t-il, Saint-Goal, dut posséder primitivement une chapelle placée sous son vocable.
Le couvent primitif fondé par Saint-Goal a évidemment disparu, de même que l'important prieuré bâti par les Bénédictins de Redon au lendemain de la donation de 1037. Un cloître devait sans doute relier l'habitation monastique à l'église.
Ce bâtiment était l'habitation du prieur et le siège de sa seigneurie temporelle ; on y voit une pièce ayant servi de prison. Brûlé par les Espagnols en 1592, en même temps que l'église, il fut rebâti en 1614 par le prieur Jean BOUCHARD. Cela ressort d'un aveu fait au roi par l'intéressé, le 5 juillet 1628 :
« Un grand corps de logis et un pavillon couvertz d'ardoizes bastiz de pierres de taille, relevés par le dit advouant, avec fuye et coullombier, jardrin et pourpris, un pré enclos de murailles et, en la basse-cour, un logis couvert de chaume ».
Ce bel et solide édifice qui a défié les siècles, fut aliéné, à la Révolution :
« Le 8 août 1791, la maison prieurale et son pourpris furent adjugés pour 5575 livres au profit de Jacques LE JEUNE de Lorient ».
Laissé à l'abandon par son nouveau propriétaire, il ne tarda pas à menacer ruine. Cependant, avant la dernière guerre mondiale, il avait encore sa toiture et était habité.
En revanche, les belles ruines du prieuré marquées des armes de Gilles DE QUÉRISSEC, prieur de 1527 à 1543 ont été vendues et emportées au Stivel en Carnac si bien qu'il ne reste plus de trace de cette ancienne dépendance de l'abbaye de Redon.
Le prieuré de Locoal en ruine avant que le chanteur Alain Barrière, avec la complicité de quelques locoalais, n'enmène ces très belles pierres dans la forêt de Carnac pour construire la discothèque Le Stirwen. A la place de cette noble et altière demeure se trouve aujourd'hui une banale maison néo-bretonne (note du Webmestre).
Le 21 février 1821, demoiselle Marie VINCENTE ALLANO, sour du recteur, qui avait acheté, au moment de la Révolution, pour la somme de 2.400 livres les dépendances du presbytère, ancien logis du vicaire perpétuel, en fit donation à la succursale de Locoal. Cette donation fut approuvée par le roi Louis XVIII en date du 10 juillet 1822. C'est le presbytère actuel.
On trouve à Locoal, à côté d'une vieille croix romane sur la route du Couëdo, trois croix de même style, oeuvres sans doute du même artisan:
La croix fut élancé du Couëdo, au bord de l'ancien chemin de Sainte-Hélène ; celle de Pen-Pont, et la petite croix de Listrec en la presqu'île du Plec.
Ces trois monuments ont les bras et le sommet florencés avec, au centre, un losange en creux. Celle de Penpont repose sur un socle creusé en forme de bénitier et porte gravée à sa base une date de restauration : 1807 C. Jugo...
La croix de Pen er Pont
De nombreuses et curieuses pierres érigées, dénommées stèles ou lechs, se rencontrent sur le territoire de Locoal et dans la région avoisinante. Leur origine et leur destination ont donné lieu à diverses interprétations.
A 100 mètres au-delà de l'église, route du Couëdo, face à l'ancienne maison du batelier, on voit un lech de 1,40 m de haut, ayant la forme d'une pyramide quadrangulaire et portant en relief une large croix pattée (croix de Malte) inscrite dans une circonférence, avec au-dessus une petite croix gravée en creux. On appelle ce lech la pierre du moine : « Mén er Menah ».
Men er Menah
La stèle, en forme de fuseau, haute de plus de deux mètres, se termine en une calotte soulignée d'un tore et d'une torsade d'où pendent comme deux tresses. Certains ont voulu y voir la figuration d'une chevelure féminine. En outre, elle est gravée d'une croix pattée avec de part et d'autre de la hampe, l'inscription verticale : « CROUXX PROSTLON ». Les caractères onciaux remontent à une période qui va du IXème au XIIème siècle.
L'histoire connaît une femme du nom de Prostlon. Elle était fille du roi Salomon de Bretagne et femme du comte de Vannes Pascuèthen. Elle mourut sans doute en 875 et fut inhumée à Saint-Sauveur de Redon car, le 8 janvier suivant, le comte Pascuèthen se rendit sur sa tombe et à cette occasion fit des donations à l'abbaye.
C'est à cette princesse que l'on rattache généralement la stèle de Locoal.
Mais La Borderie penchait plutôt pour une homonyme et Gildas Bernier lui refuse tout caractère funéraire.
Il semble pourtant évident qu'un monument si soigné ne peut appartenir qu'à un personnage considérable. D'autre part, le mot « crux » se retrouve ailleurs avec une signification funéraire.
Ne pourrait-on pas envisager que Prostlon, morte à Locoal ait été ensuite transportée à Redon pour y être inhumée ? Cette hypothèse permet de justifier, en ce lieu, la présence de la stèle, qu'elle ait été élevée par Pascuèthen lui-même ou par les moines de Redon quand ils devinrent possesseurs de Locoal.
Quoiqu'il en soit, nous sommes en présence d'un des monuments les plus anciens de la Bretagne chrétienne et rien n'autorise à affirmer qu'il s'agit du réemploi d'une stèle gauloise.
Beaucoup moins ancienne, la croix voisine apparaît comme le type parfait de celles qu'on rencontre à plusieurs reprises dans la région de Belz. Son soubassement carré, en appareil, porte un socle où se lit la date de 1807, qui ne peut-être que celle d'une restauration. Le fût quadrangulaire s'élève assez haut avant de s'épanouir en quatre arcs de cercles adossés gui forment une croix aux extrémités tréflées. Dans le losange central aux côtés incurvés s'inscrit une fleur à six pétales et, un peu plus bas, cinq cupules disposées en croix rappellent les places du christ.
Ainsi, ces deux monuments, l'un du début du moyen-âge et l'autre sans doute de la fin signent le plat paysage de la « palue » de Locoal-Mendon.
|
|
La stèle de Prostlon
A l'entrée de la presqu'île du Plec est une autre stèle en granit de forme cylindrique ayant 3 m de haut et 1,90 m. de circonférence, surmontée des débris d'une pierre qui formait jadis une croix ; ce monument est connu sous le nom de « quenouille de Brigide ».
Près de cette colonne se trouvait une autre pierre mobile, de forme quadrangulaire faisant 75 cm de hauteur, 35 cm de largeur et 25 cm d'épaisseur. Travaillée sans doute à une époque moderne, elle portait sur l'une de ses faces l'effigie du Christ grossièrement sculptée ; on l'appelait « fuseau de Brigide ».
Il semble que les différentes pièces aient été superposées et que le monument actuel comporte le lech de 3 m dit « la quenouille », surmonté de la pierre avec croix gravée dite « le fuseau », le tout coiffé de la pierre indéterminée en forme de chapeau pointu. La hauteur de l'ensemble fait près de 4 mètres.
Kegil ha gourhed Berhed
Au village de Kervarec disparu, près de la chapelle Saint-Jean, s'élevaient naguère plusieurs grands lechs chargés d'inscriptions indéchiffrées. Ces pierres ont été brisées vers 1850 et employées à faire des meules à aiguiser, des linteaux de porte etc...
Au chevet de la chapelle du Plec, on remarque un gros bloc de granit de 1,80 m de long qui paraît n'avoir été taillé ni d'un bout ni de l'autre... Il porte à l'une de ses extrémités une croix pattée en creux, tandis que l'autre est arrondie. A sa surface supérieure, cette pierre porte une inscription rudimentaire gravée en creux : « IAGU ».
La stèle de la chapelle Sainte Brigitte
Retour au descriptif de la chapelle, en suivant ce lien
Au bourg, au coin d'une maison, se voit enfin un gros lech bas ou cippe, arrondi à son sommet en forme de calotte.
A cette énumération, nous pouvons ajouter d'autres monuments du même genre qui sont disséminés aux alentours de Locoal. Signalons les lechs du bourg de Mendon, du Moustoir, de Locqueltas, surtout la curieuse pierre épannelée, longue de 1,75 m et arrondie à son sommet, découverte en démolissant l'ancienne église paroissiale : elle avait la forme d'un prisme à 8 côtés terminé par une calotte à 8 faces, avec une petite cavité au sommet ; les lechs de Landaul et de Lan vaut faisant de 1 m à 1,50 m de haut, taillés en forme de pyramides tronqué,., et ornés de croix variées ; les lechs du village de Langombrach, voisin du Plec, spécialement celui de 2 m, taillé à 4 faces en forme de pyramide au sommet arrondi : il porte sur l'une de ces faces une croix ancrée et une inscription gravée en creux où l'on distingue :
« crux Britiet, mulieris ribets. licon.hoc opus. orum quicomque ».
De quand datent toutes ces mystérieuses pierres levées et quelle est leur signification ?... Nous pensons qu'elles sont très anciennes, mais elles ont pu avoir plusieurs destinations successives. Les exemples ne sont pas rares de bornes votives ou milliaires utilisées par la suite comme lechs ou pierres funéraires. Généralement, on les fait remonter à l'époque dite «gauloise» ou romaine, mais elles ont été réemployées par les Bretons.
a) Certaines sont des STÈLES COMMÉMORATIVES d'évènements importants survenus dans le secteur...
De ce nombre serait LA STÈLE DE PROSTLON érigée en souvenir de la mort de l'épouse du prince breton Paskwéten, décédée en 875 et inhumée à l'abbaye Saint-Sauveur de Redon. Les Bénédictins durent lui élever plus tard sur leurs terres de Locoal, où peut-être elle mourut en une résidence sur les bords de l'Etel, un monument commémoratif. Il est curieux de relever, dans quelques toponymes des environs, de même qu'à Arzal, sur les rives de la Vilaine, le nom de «Paskwéten» (Kerbachique en Languidic, Locoal-Mendon et Plouharnel ; Kerbaschuin en Pluvigner et Plouhinec ; Kerbasquéhen en Arzal)... On sait que Paskwéten, comte de Vannes et prétendant au trône de Bretagne, dut combattre les Normands qui ravageaient le pays. Nous trouvons précisément tout près de la « Crux Prostlon» une parcelle de terre au nom significatif : «park en emgann» (champ de la bataille), qui se réfère à un combat des temps anciens. Fut-il livré par Paskwéten vers 875 ou s'agit-il d'une bataille engagée contre les Espagnols en 1592 ?...
La colonne « KEGIL HA GOURHED BERHED» paraît appartenir au même groupe et à la même époque lointaine...
La dénomination « Berhed» (Brigide) provient sans doute de la présence d'une chapelle dédiée à Sainte-Brigide au centre de la presqu'île du Plec, à quelque distance du monument, mais elle pourrait aussi avoir une relation avec la « CRUX BRITIET» de Langombrach et désigner une personnalité inconnue du nom de Brigitte, épouse d'un certain Ribets.
b) Plusieurs savants comme l'abbé MAHE, le docteur A FOUQUET, CAPOT DELANDRE attribuent ces stèles aux chevaliers de Saint-Jean, dits chevaliers de Malte, établis à Kervarec et les considèrent comme des bornes délimitant les domaines des religieux de Locoal. Ils basent leur opinion sur la présence, en la commune d'Arzal précisément, de 4 bornes de 1 m de haut, taillées à plat, que M. BIZARD dit avoir été posées là vers 1750 pour délimiter les terres relevant de l'abbaye de Prières...
Celles-ci portent sur l'une de leurs faces un losange et sur la face opposée une hermine sculptée en relief, dont la partie inférieure, assez grossièrement exécutée, présente quelque ressemblance avec une main aux doigts écartés ; les habitants désignent ces bornes sous le nom de «pattes de moines».
Bien que les stèles de Locoal aient pu servir au même usage, en raison des relations du prieuré avec Prières, elles sont à notre avis bien antérieures et leurs dimensions, les sculptures qu'elles portent, nous invitent à leur donner une tout autre signification.
c) Les lechs moins hauts, marqués de croix diverses sur leurs faces, avec excavations au sommet, que l'on trouve fréquemment dans le voisinage des vieux sanctuaires, sont considérés par Messieurs de KERANFLEC'H et MARSILLE qui les ont étudiés, comme des pierres tombales primitives. De même, les lechs bas ou cippes, en forme de calottes sphériques portant des cupules à leur sommet. Telle aurait été la destination des deux lechs, petit et moyen de Local, de ceux de Kervarec Saint-Jean disparus, de ceux de Mendon, Landaul et Landévant.
- Quand au bloc de granit à peine équarri du Plec, nous rangeons volontiers dans cette catégorie en y voyant la pierre tumulaire d'un religieux ou d'une notabilité du nom de Jagu, enterré jadis dans la chapelle de Sainte Brigide.
G. - LES RETRANCHEMENTS OU TERRES BUTTÉES
Il en est de différentes sortes et de diverses époques
1. - Les plus anciens remontent aux premiers siècles de notre ère à l'époque gallo-romaine et à l'arrivée des Bretons en Armorique. La vie de Saint Goal nous apprend «qu'il creusa de ses propres mains une grotte dans les rochers qui bordaient la mer. Les flots des grandes marées menaçant d'envahir leurs demeures ou cellules, les disciples du Saint durent, pour se mettre à couvert, édifier des digues dont l'étendue nous surprend». La construction de ces digues, longues de près d'une lieue, est rapportée sous forme légendaire par certains documents qui, outre le motif précité, en donnent pour raison l'exiguité du lieu pour les nombreux moines qui l'habitaient, jusqu'à 188 diton. Ces digues, dont il reste encore des tronçons parfaitement reconnaissables, ont vivement préoccupé les savants.
2. - L'histoire nous dit, de son côté, qu'en 1037, le normand GURKI qui s'était installé dans les biens des moines expatriés, consentit à céder aux Bénédictins de Redon " une portion de son domaine, se réservant, pour la durée de sa vie, la jouissance d'un quartier de l'île qu'il sépara du reste au moyen d'un fossé." Voilà encore des travaux en terre formellement mentionnés.
3. - Les moines durant leurs séjours, entreprirent à Locoal la création d'étangs pour assurer leur ravitaillement en poissons et faire actionner un moulin à marée. Le plus vaste existe toujours sur la rivière de Saint-Jean, tandis que M. de Cadenet, recteur de 1815 à 1839, établit lui-même une digue afin d'assécher un étang au sud du presbytère, appelé « l'étang du moulin » qui avait appartenu aux moines.
4.- Dans la presqu'île du Plec, à proximité de la rivière, on voit plusieurs éminences artificielles de terres longues et étroites dont l'une a 35 m de longueur, 2,50 m de hauteur et 4 m de largeur. Les habitants regardent ces buttes comme des restes de retranchements élevés par les Espagnols pendant les guerres de la Ligue. La tradition prétend en effet qu'ils occupèrent cette langue de terre où il y eut un sanglant combat entre eux et les Bretons. Il est certain que de 1590 à 1598 les Espagnols s'établirent sur différents points du littoral et tout spécialement au Port-Louis, d'où ils ravagèrent les campagnets environnantes. Au village du Plec, le souvenir de leur séjour s'est conservé ; on y montre un courtil qui porté le nom breton de « liorh er Spagnol » où furent enterrés, dit-on, cinq soldats Espagnols. Vers 1840, des porcs, en fouillant le sol autour de la chapelle Sainte Brigide, mirent à découvert des ossements humains qui passent pour avoir été ceux d'Espagnols enfouis dans cet endroit. Ces restes ont longtemps été conservés dans un coffre en bois déposé dans la chapelle, comme il en est d'autres actuellement encore au fond du sanctuaire de Langombrach. Si ce séjour des Espagnols à Locoal, où ils incendièrent église et monastère, en 1592, ne laisse aucun doute, on ne peut affirmer que toutes les éminences artificielles qu'on y voit sont les restes d'ouvrages militaires établis par eux pour se maintenir dans cette position. Par contre, on peut leur attribuer les monceaux de décombres qui voisinent à l'Ouest l'église paroissiale et le prieuré ruinés par eux.
5.- A l'opposé du Plec, dans un ancien îlot qui prolonge vers le sud l'île Saint-Goal et qui s'appelle La Forest ce sont d'autres amoncellements de terre et de pierres qui apparaissent. Ce fut là en effet « l'île du bonheur » refuge de Georges Cadoudal et de son état-major pendant la Révolution. Des terriers creusés dans de larges talus ombragés de chênes séculaires portent le nom de « caches des chouans », tandis que d'étroits chemins creux sillonnent cet îlot sauvage, recouvert de bosquets, de haies d'ajoncs et de broussailles. On prétend même que les chouans ne firent qu'utiliser d'anciennes tranchées et caches de contrebandiers. Ce qui est sûr, c'est que le coin se prête à merveille à la contrebande et aux guérillas.
Ainsi, à la suite des Romains, Goal et ses moines ont passé par là. On montre dans un sous-bois du Plec une sorte de tertre broussailleux dont la tradition fait « le lit » ou « la tombe » de Saint Goal... Après eux, sont venus les Normands et, du fait que Gurki s'y est installé, ses compatriotes durent y séjourner assez longtemps... Il est donc difficile d'attribuer aux seuls Espagnols des travaux mentionnés dans des écrits antérieurs au XIIème siècle. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la terre de Locoal a été passablement remuée au cours des siècles. Des fouilles pratiquées en certains points aboutiraient, sans soute, à des conclusions et à des découvertes intéressantes.
On remarque, au cimetière de Locoal, quelques tombes dignes d'attention.
1. - D'abord celle de Jean-Marie EMERY, dit « HERMELY » , chef de légion et chef des courriers de l'Etat-Major des Chouans, lieutenant de Georges Cadoudal. Né à Locmariaquer en 1769, marin de profession, il eut un rôle important pendant la Révolution comme agent de liaison de la Légion d'Honneur, chevalier de Saint Louis et de l'Ordre royal du Lys, tandis qu'elle l'élevait au grade de Colonel et en faisait le commandant d'armes de la citadelle de Port-Louis.
La tombe d'Hermely
Il se retira, en 1830, à Kerguinen, dans un petit manoir derrière le bourg de Locoal. Et c'est là qu'il mourut en 1850. « Ses obsèques furent grandioses comme il avait le grade de lieutenant-colonel, deux compagnies d'infanterie, avec drapeau et musique vinrent lui rendre les derniers honneurs, et, suivant l'usage du temps, les soldats défilèrent devant la tombe ouverte en déchargeant leur fusil à blanc sur le cercueil. »
Il fut enterré dans le cimetière de Locoal, le long de l'allée centrale, près du porche de l'église. Vers la fin de XIXème siècle on voyait, à côté de la sienne, la tombe de sa petite-fille, Adélaïde Le Bouédec, et à deux pas, celle du savant abbé Kersaho, son ami.
En 1904, le général Joseph de Cadoudal offrit de faire transporter ses restes au mausolée de Kerléano à côté de ceux du grand Georges, son oncle. La famille d'Hermely ne crut pas devoir accepter.
Or en 1928, la sépulture d'Hermely disparut, et ce qui restait de ses ossements aurait été jeté à la fosse commune. La tombe de sa petite-fille subit le même sort. En 1968, l'abbé Mériadec Henrio, recteur, après des recherches pour retrouver la pierre tombale et le lieu exact d'inhumation, remit la dalle noire, brisée en six morceaux, à sa place approximative, et fit dresser, au chevet de la tombe, une stèle de granit portant la devise des Chouans « Doué ha mem bro » (Dieu et mon pays). La dalle primitive porte l'inscription suivante Jean-Marie EMERY ex-lieutenant du roi, Chevalier des ordres de Saint-Louis et de la légion d'honneur né le 3 octobre 1769, mort à Locoal le 9 octobre 1850.
Ainsi a été sauvé un souvenir important de la période révolutionnaire en Bretagne, et remise en place la tombe la plus célèbre du cimetière de Locoal.
2. - Vers 1845, la petite-fille de Jean-Marie Hermely, Adélaïde LE BOUEDEC, était venue lui tenir compagnie dans sa solitude et diriger sa maison.
Lorsque l'abbé Kersaho, recteur, pourvut la paroisse, en 1847, d'une école chrétienne, elle aida, puis remplaça Mlle Françoise Kersaho, sour du pasteur, en qualité d'institutrice, à dater du 26 octobre 1868 jusqu'à son décès survenu le 19 mars 1880. La plaque tumulaire a été apposée, en 1968, contre l'ossuaire du cimetière.
3. - Une dalle de granit recouvre les restes de l'Abbé Jérôme KERSAHO, recteur de Locoal de 1838 à 1888. Né à Groix en 1798, ordonné prêtre en 1824, il fut l'ami de Jean-Marie Hermely. Après avoir été aumônier du lycée de Laval, il devint desservant de Locoal où il demeura 50 ans. Esprit très cultivé, député du Morbihan à la Chambre Constituante de 1872, il est l'auteur d'un dictionnaire hébraïque et de plusieurs autres opuscules. Nommé chanoine honoraire à l'occasion de la fête du cinquantenaire de son rectorat en septembre 1888, il mourut le lendemain, le 25 septembre 1888, à l'âge de 90 ans.
4. - Entre le porche de l'église et le contrefort voisin se dresse une grande tombe de granit : c'est celle de Monsieur et Madame PIÈCHE, devenus propriétaires du manoir et des sept fermes de J.M. Hermely après la mort de ce dernier.
Madame Pièche (1840-1932), originaire de Concarneau, exerça une longue et active charité à l'égard des familles pauvres de Locoal et des environs. Ayant hérité d'une somme importante, elle décida de la consacrer à une bonne ouvre : ouvrir une école chrétienne à Locoal. Cela fut fait en 1911 à Mané er Groéz, en haut du bourg. Mme Pièche faisait don à la paroisse d'une école avec sa cour, d'une maison d'habitation pour les institutrices et d'un terrain au bord de la « plage ».
Sans cette bienfaitrice, la petite paroisse de Locoal (bien pauvre naguère) n'aurait jamais eu d'école chrétienne pour ses enfants.
5. - La grande croix en chêne au cimetière a été érigée à l'occasion de la MISSION paroissiale de 1924.
6. - Quant à la statue de saint-Goal qui accueille les visiteurs, oeuvre du sculpteur DANIEL de Locminé, elle a été placée en mars 1970 dans l'embrasure de l'ancienne porte Saint-Jean, sur la façade sud de l'église.
Près de cette statue, on remarque un bloc de granit présentant en relief un animal à longue queue, sans doute un renard. Cette pierre provient d'une ferme du pays, où elle servait de linteau à une fenêtre. La famille Le Baron, de Mané-Ménégo, l'a offerte à leur église paroissiale en 1966.
Toute cette richesse historique méritait d'être mise en relief : souvenirs des moines de Saint Goal, des Bénédictins de Redon, des Chevaliers-Hospitaliers de Saint Jean ; Vestiges de combats anciens : du stratège Paskwéten contre les Normands ; des Bretons contre les Espagnols ; des Chouans contre les troupes révolutionnaires...
C'est tout cela que l'on trouve rassemblé pêle mêle sur ce coin de terre de Locoal-Mendon, pays des îles fortunées, des stèles burinées et des sols bouleversés.
L'île du bonheur et ses secrets
Deux longs bras de terre incurvés enlacent, au Nord et au Sud, le petit bourg de Locoal, sur la rive gauche de l'Étel, en lui tressant comme une couronne de verdure. Au nord s'étire la presqu'île du Plec terminée par le promontoire du Verdon ; au Sud, c'est le mystérieux domaine de « La Forest » ; au centre se trouve, blottie dans une anse délicieuse, l'agglomération locoalaise, coeur du pays.
Le cap arrondi de « La Forest » rocailleux et pittoresque, recouvert de bois et de broussailles, n'est relié à la terre que par une étroite chaussée. S'avançant dans le bras de mer d'Étel, il fait face aux rivages de Mendon, à l'Ilot de Riec, ancien chef-lieu du Pou-Belz et, sur l'autre rive, à la terre de Sainte-Hélène, jadis dénommée « Locoal-sous-Hennebont ».
C'est une oasis de silence et de poésie qui comporte seulement quelques vieilles chaumières, ainsi qu'un haut manoir (Le manoir date de 1869) surplombant la rivière et caché dans les frondaisons. Des chênes et des châtaigniers plusieurs fois séculaires bordent ses larges talus, ses retranchements, ses murets de pierres sèches. Ce domaine de 51 hectares est un lieu historique, dont nous nous proposons de retracer les faits saillants.
Retraite, au VIème siècle, du moine Gudwal et de ses compagnons ; repaire des pirates normands au XIème siècle ; des Espagnols au temps de la Ligue ; puis des contrebandiers ; fief des Bénédictins de Saint-Sauveur de Redon ; refuge, pendant la Révolution, des prêtres réfractaires, de Georges Cadoudal et de ses Chouans, « La Forest » est un coin de terre riche en souvenirs qui mérite d'être conservé intact pour les générations à venir.
Lorsqu'éclata la Révolution française en 1789, la paroisse de Locoal était pourvue d'un recteur dénommé « vicaire perpétuel » parce qu'il relevait de l'Abbaye de Redon, titulaire du bénéfice. II s'appelait Jean-Pierre Marie ALLANO. Originaire de Vannes, ordonné prêtre en 1773, il venait d'être nommé à Locoaf par le pape le 28 avril 1789. Il avait pour vicaire Guillaume HAZEVIS de Mendon, tandis qu'un autre prêtre, Jean LE BOUCHER, desservait la frairie de Sainte-Hélène, dépendance de Locoal. A Mendon il y avait également trois prêtres ; AMET, recteur et en même temps doyen de Pou-Belz, ROLLAND, vicaire en titre, et LE BODO, auxiliaire.
On sait que le 12 juillet 1790, l'Assemblée Nationale votait la Constitution Civile du Clergé et que le 27 novembre suivant elle prescrivait à tous les prêtres en fonction de prêter serment à la nouvelle constitution.
Ce serment schismatique, qui avait pour but de détacher de Rome le clergé de France, fut condamné par le pape Pie VI dans un Bref du 10 Mars 1791.
Les prêtres de Locoal et de Mendon, comme la plupart de leurs confrères du diocèse, refusèrent catégoriquement de prêter le serment civique contraire aux lois de l'Église et à leur conscience de prêtres catholiques. Malgré les arrêtés pris en 1791 par les administrateurs du département contre les « réfractaires », ceux-ci restèrent sur place et continuèrent à exercer leur ministère.
Mais, le 26 août 1792, fut promulguée la loi de déportation contre les prêtres fidèles : c'était la persécution religieuse. Traqués par tes Révolutionnaires, J.P. Allano, G. Hazevis et Amet, recteur de Mendon, prirent à la mairie de cette localité, le 11 septembre 1792, un passeport pour l'Espagne. Le 22 septembre leur passage est signalé au couvent Saint-Paul à Valladolid. Ce fut l'exil forcé, tandis que s'instaurait en France le régime de la Terreur.
J.P. Allano fut remplacé à Locoal par son frère, Pierre Marie, prêtre étudiant à Paris, qui se destinait aux Missions. Venu chercher asile auprès des siens, il demeura caché dans les fermes de La Forest pendant tout le temps de La Révolution, avec plusieurs autres confrères. A la faveur d'une accalmie, le recteur et son vicaire rentrèrent eux-mêmes d'Espagne, en octobre 1797, et vinrent les rejoindre. Dans un état du 29 octobre adressé au ministre, Baunard, commissaire à Auray, écrit en effet ; « Locoual : Allano, curé dangereux, avec connaissance, venu d'Espagne ».
Ces vaillants écclésiastiques étaient hébergés dans les familles Le Bayon et Bruzac qui tenaient les fermes de La Forest. Les deux sueurs des abbés Allano, retirées elles-mêmes en ce lieu, se chargèrent de subvenir aux besoins et à la sécurité des persécutés.
Il y avait à Belz un poste de soldats républicains et ceux-ci firent souvent des perquisitions à Locoal. Mais comme une route unique donnait accès à l'île, il était facile de signaler l'arrivée des « Bleus ». Dès qu'ils apparaissaient, un homme du hameau de Saint-Jean donnait l'alarme, et les prêtres se mettaient à l'abri dans des grottes voûtées (qui ont disparu), ou bien dans des fosses creusées à même le sol et recouvertes de fagots, ou encore dans d'ingénieuses cachettes des bâtiments de ferme.
Plusieurs traditions locales relatives aux incursions des « Bleus » à la Forest ont été conservées par la population. En voici une, consignée dans les archives paroissiales : « Une petite domestique, âgée de 15 ans, gardait seule le presbytère, et, un jour, plutôt que de trahir, elle se laissa traîner par les cheveux ou la corde au cou, tout autour de la maison. Sans l'intervention d'un soldat plus humain que les autres, elle aurait payé de sa vie son dévouement Pas une trahison ne fut constatée à Locoal pendant cette triste période. Seule la magnifique croix de la paroisse, toute en argent, fut livrée aux Révolutionnaires on ne sait par qui ; on n'en pu sauver que le pied, fondu plus tard pour faire un ostensoir et un ciboire ».
On raconte également que les Bleus interrogeaient les petits bergers de la Forest : « Émen é ma kuhet er véleion ? » (Où sont cachés les prêtres ?). Et ils faisaient briller à leurs yeux de belles pièces d'argent. Mais, pour toute réponse, ils n'obtenaient que ces mots : « Ne houiam ket ni ataù » (Nous ne savons rien, nous).
Les prêtres fidèles réfugiés à la Forest se tenaient à la disposition des chrétiens de la région. Messes, mariages, baptêmes étaient célébrés dans les bâtiments de la ferme que l'on peut encore voir. Grâce aux barques des dévoués passeurs Bruzac et Le Bayon, les prêtres pouvaient atteindre les autres rives et porter les secours de la religion aux malades et aux mourants.
Au lendemain du Concordat, le 19 octobre 1802, le recteur de Locoal, J.P. Allano, prêtait serment de fidélité au Préfet du Morbihan et devenait curé de Belz où il est mort le 21 mars 1818 à l'âge de 67 ans. Son frère, Pierre Marie qui fut aumônier des Armées royales, desservit Sainte-Hélène, Ploërdut, Plouharnel et mourut curé de Quiberon en 1826. Après la Révolution, nous trouvons G. Hazevis vicaire à Plouhinec. Quant à Amet, doyen de Mendon, il mourut vraisemblablement en Espagne au cours de son exil ; mais la paroisse confiée à Le Bodo était en bonnes mains. Les Mendonais ont conservé longtemps le souvenir de ce prêtre dévoué qui ne quitta jamais le pays, devint leur recteur après la tourmente et le demeura jusqu'en 1832, année de sa mort.
Né le 1er janvier 1771 à Kerléano, en Brech, près d'Auray, Georges Cadoudal fut d'abord favorable aux idées nouvelles, lorsqu'il était étudiant au Collège Saint-Yves de Vannes. Mais la Constitution Civile du Clergé et la persécution religieuse changèrent ses dispositions et il ne tarda pas à se ranger du côté de ceux qui représentaient les saines traditions du pays et la liberté de conscience. Engagé dans l'armée de La Rochejacquelein, il prend part à la guerre de Vendée, « Ia guerre des géants », jusqu'au désastre de Savenay, le 23 décembre 1793. A cette époque, Georges réapparaît au pays d'Auray avec un ami qu'il ramène d'Angers, Mercier dit « La Vendée » . Grâce à eux le Morbihan va s'insurger et prendre le relais de la Vendée militaire.
Vrai fils du sol breton, taillé d'une seule pièce comme un bloc de granit, Georges avait un langage rude comme sa personne, martelé du terrible juron breton qui lui était coutumier : « Malloh ru, paotred, dam arnehé ! » (Malédiction rouge, les gars, allons dessus). L'Arvor occidental de Vannes à la rivière d'Étel et au-delà était gagné à fond à la cause de Cadoudal ; c'était son fief. Il appela les hommes au combat en parcourant les campagnes, choisit parmi eux les plus capables de conduire les autres. Ce fut le travail de plusieurs mois au début de 1794.
Après avoir été emprisonné à Brest et s'être évadé, il se lança à corps perdu dans la Chouannerie. Intelligent, courageux et énergique, Cadoudal sut galvaniser les forces morbihannaises, et à partir de ce moment la guerre des fossés fit rage. Il mit sur pied la division d'Auray, qui devait être le noyau de son armée et lui fournir ses bataillons d'élite. Elle comprenait les cinq cantons d'Auray, de Grandchamp, de Pluvigner, Belz et Quiberon, formant un petit royaume, dont la capitale spirituelle était Sainte-Anne-d'Auray. Pour organiser et discipliner ses troupes, recruter les cadres, il eut recours aux prêtres du pays qui avaient refusé le serment et n'avaient pas voulu abondonner leurs ouailles. Le général savait que leur influence sur l'esprit des Bretons était sans limites. Il s'adressa donc à MM. Le Bodo, vicaire à Mendon, Allano de Locoal, Le Marec d'Erdeven (enterré à Locoal), Philippe, prêtre de Locmariaquer, Le Guennec de Crach, Le Gloahec de Carnac, Auffret de Quiberon, Lomenech de Ploemel, Mahéo de Pluvigner, Le Gouguec de Plouharnel, qui secondèrent ses efforts. Il constitua pour le Morbihan un comité de résistance dont l'abbé Boutouillic de la Villegonan (Kergonan en Plouharnel ) fut le président officiel, l'abbé Guillevic de Ploemeur le conseiller-aumônier, l'abbé Le Leuch, prêtre de Sainte-Avoye en Pluneret, le trésorier. Ce sera la cour ecclésiastique et, au besoin, le tribunal de Georges.
En même temps il mit en place son état-major, recruté parmi les soldats les plus vaillants, pour la plupart ses anciens condisciples du Collège de Vannes. Quatre hommes tous dévoués formaient sa garde du corps : son frère cadet Julien, « Julian Bléu ru » (le rouquin), surnommé « Mamy », qui commandait la cavalerie ; son principal aide de camp, Jean-Marie Le Ridant de Vannes, ex-notaire et son condisciple ; son meilleur ami Mercier-la-Vendée ; enfin un autre camarade du collège, qui était son lieutenant et très souvent le remplaçait à la tête de sa division : Jean Rohu de Plouharnel ... D'autres étaient chargés de missions importantes, tel Jacques Eveno de Belz, dit « Hector », Jean-Marie Hermely de Locmariaquer, émissaire très actif qui avait la confiance de Georges, Jean-Pierre et Ambroise Le Diraison d'Erdeven, capitaines de navires qui portaient la correspondance aux escadres anglaises, Pierre-Jean Cadoudal de Brech, son cousin ... il avait des auxiliaires aussi fidèles dans les chefs de divisions et de paroisses : Le Gouriff, dit « Ulysse » de Sainte-Hélène, Le Lan, dit « Brutus » de Kervignac, Vincent Hervé dit « La Joie » de Plougoumelen, André Guillemot de Baden etc...
Cadoudal n'aurait jamais pu ainsi réussir sans la sympathie, la complicité et le concours des habitants. Il jouissait d'un énorme prestige, non seulement dans le Morbihan mais dans toute la Bretagne et au-delà. Les gens du pays alréen lui portaient une véritable vénération pour sa bonté et son dévouement, pour son courage, son honnêteté et sa pureté de vie. Il laissa un souvenir impérissable dans le cour de ses officiers et de ses soldats qu'il traitait en frères, comme dans les familles frappées par le malheur qu'il soulageait autant qu'il lui était possible.
Les motifs qui poussaient la majorité du peuple vers Georges et ses soldats s'expliquent aisément : les Chouans, issus de la région, parlant breton, étaient des catholiques pratiquants ; ils protégeaient la religion et les prêtres fidèles, ils s'opposaient à la conscription des jeunes gens ; ils se dressaient contre la tyrannie des Révolutionnaires, enfin ils défendaient les libertés de la Bretagne garanties par le Traité d'Union de 1532 réglant les rapports entre le Duché et la France.
L'armée de Cadoudal était disciplinée et Georges, qui était un catholique convaincu, veillait à la bonne moralité de ses troupes.
Le 20 mai 1795, le Comité des Chouans morbihannais et les principaux officiers se réunirent à Grandchamp, devenu pour un temps le quartier général des insurgés. Il y eut là les Assises du parti et l'on décida que Jean-Marie Hermely prendrait la tête des pilotes côtiers désignés pour aller en Angleterre chercher l'escadre. On se préparait, en effet, à recevoir les troupes émigrées qui devaient libérer le pays de la Révolution. Un mois exactement avant la fameuse affaire de Quiberon, à laquelle les Chouans devaient prendre une part si active, un engagement eut lieu entre eux et les Bleus, d'abord à Grandchamp, puis dans les bois de Floranges en Pluvigner. Cadoudal, qui avait reçu un coup de fusil à la jambe, se fit transporter, pour soigner sa blessure à l'extrémité sud de la presqu'île de Locoal. Il y avait là des cachettes, des fourrés inextricables et surtout des gens dévoués à la cause du chef chouan, en qui celui-ci pouvait avoir pleine confiance.
Une des caches utilisées par Cadoudal
Il semble qu'il ait une raison particulière de choisir cette retraite et d'en faire sa cachette-résidence habituelle. Sa mère était une Le Bayon. Sans doute était-il apparenté à la famille Le Bayon qui habitait La Forest. Georges se trouvait donc là au milieu des siens. Une tradition locale, digne de foi, rapporte qu'un membre de la famille Le Bayon de Locoal fut fusillé dans la presqu'île. Sans être certain de ce que nous avançons, nous pensons que c'était un parent de Georges et qu'il était maire du pays. Les archives paroissiales relatent que « le maire fut tué par les Bleus à la porte même du presbytère, parce qu'il leur résistait. Le recteur, appelé en toute hâte pour lui administrer les derniers sacrements témoigna qu'il venait de perdre le meilleur chrétien de sa paroisse ».
|
|
Le sentier de Cadoudal à La Forest
Quoi qu'il en soit, La Forest était un magnifique observatoire permettant de surveiller les territoires environnants sans être vu. Le coup d'oeil était des plus attrayants et l'on vivait en parfaite sécurité dans ce coin pittoresque qui fut appelé pour cette raison « I'lle fortunée » ou « l'île du bonheur ». C'est là, où il trouvait chez les habitants de la ferme voisine une cordiale hospitalité, que Georges Cadoudal aimait à se retirer avec son Etat-Major, lorsqu'il avait quelques moments de répit. Il y retrouvait les prêtres réfractaires, ses confidents et ses conseillers. Il vint en particulier s'y recueillir en compagnie de son ami Mercier-La-Vendée, au lendemain de la trêve du 18 juin 1796. Des bateaux étaient toujours prêts, en divers points de l'île, à assurer en cas de surprise la retraite du chef breton vers Sainte-Hélène ou Plouhinec, vers Belz, Nostang, ou Locoal. Quelques coups d'aviron suffisaient, au besoin, pour gagner la pleine mer.
|
|
Le sentier côtier à La Forest
De ce point stratégique, le regard se porte avec complaisance sur une multitudes d'anses, d'îlots, de villages et de clochers qui se reflètent dans les sinuosités de la rivière. Au milieu du labyrinthe de bras de mer qui entourent ce lieu retiré, Cadoudal n'avait rien à craindre de ses adversaires acharnés à sa poursuite et à sa perte. Aussi en fit-il son séjour de prédilection jusqu'à son départ pour Londres et Paris, où il devait périr sur l'échafaud le 25 juin 1804. « Un jour, raconte son neveu, malgré la foi des traités, trois détachements de Républicains arrivent à Locoal pour tenter de l'encercler dans son repaire. Georges qui les voit et en est vu s'embarque sous leur nez, avec son Etat-Major et laisse derrière lui ceux qui s'étaient flattés qu'il ne leur échapperait pas ».
La maison du quartier général de Cadoudal, menaçant ruine au début du XXème siècle, a été abattue vers 1925. On voit encore, au bord du chemin qui traverse la cour de ferme, à l'extrémité ouest, une roche de forme arrondie sur laquelle reposait l'un des murs de la célèbre demeure. Il reste même un vestige de cette vénérable habitation : c'est une longue pierre que M. Gaudin, alors propriétaire du manoir de La Forest, fit transporter auprès de chez lui. Elle est toujours là et on l'appelle « Le banc de Cadoudal ». En fait cette pierre, qui a entendu tant de secrets militaires, formait le linteau de la vaste cheminée du quartier général chouan.
C'est devant cette cheminée que se réunissait l'Etat-Major du général Georges, pendant que Julienne, l'autoritaire cuisinière sumommée « Madame Jordonne », préparait les repas. Faisait-elle partie de la famille des Bruzac ou des Le Bayon, ou bien était-ce l'une des deux sours des abbés Allano ? On ne le sait pas. Toujours est-il qu'elle était dévouée jusqu'à la mort aux Chouans, dont elle exigeait en retour une grande ponctualité en toutes choses. Elle avait, dit-on, une tête de conspiratrice, ne savait pas sourire et régnait en maîtresse dans l'île du bonheur. C'était la « chouette » qui nourrissait, entretenait et défendait sa « nichée de chouans ».
On voit aussi à La Forest le puits de ferme dont Cadoudal soulevait, dit-on, à bout de bras, la lourde margelle de granit qu'il remettait ensuite en place par le même jeu ; et l'on y montrait naguère la dalle fermant l'entrée de la cache où les prêtres, poursuivis par les Bleus, se réfugiaient. Elle a rejoint aujourd'hui le « banc de Cadoudal » près du manoir. Les « caches des Chouans » existent toujours, au moins deux d'entre elles, ainsi que les sentiers bordés de murets ou de talus énormes où cheminaient tranquillement les officiers supérieurs de la Contre Révolution.
A côté du célèbre chef chouan Cadoudal, deux de ses principaux lieutenants, que nous avons déjà mentionnés, élurent domicile en Locoal, sur les rives de l'Etel.
1. - L'un d'eux, Jean ROHU, né au village du Pontneuf en Plouharnel, le 5 mai 1771, fut l'un des officiers les plus fougueux de Georges et joua un grand rôle dans la Chouannerie. Lié d'amitié avec François Le Gouriff, capitaine des Chouans de Sainte-Hélène-Nostang, il connut, au cours de ses randonnées dans le secteur, la sour de celui-ci qui habitait le village du Penhér en Sainte-Hélène, alors appelé Locoal-sous-Hennebont. A force de fréquenter le Penhér, il s'éprit de la « penhérez » et l'épousa le 26 juillet 1802.
Après avoir été maire de son pays natal, il s'établit, sur la fin de ses jours, à Kerroué, tout près du bourg de Sainte-Hélène. C'est là qu'il mourut sans postérité le 20 août 1849. On l'enterra au cimetière de la localité.
2. - Tandis que Rohu se fixait sur la rive droite de l'Etel, un second officier de Cadoudal prenait sa retraite sur la rive gauche, à Locoal-sous-Auray, devenu Locoal-Mendon. Né au hameau de Fetan-Stirec, en Locmariaquer, le 3 octobre 1769, il s'appelait de son vrai nom Jean-Marie EMERY. Il prit le nom de Hermely et les Bleus le surnommaient « Jacques de Locmariaquer ».
Il se maria en 1792 à Guyonne Lemouroux de Kerdreven en Crach, qu'il avait connue alors qu'il se cachait dans les combles de la chapelle voisine du Plas-kaer.
Marin de profession, il avait servi dans la Flotte royale et était l'un des vétérans des insurgés. Georges qui l'estimait fort, le nomma chef de bataillon commandant le secteur de Locmariaquer, en même temps que courrier confidentiel de l'état-major royaliste. Il partait sur une barque du pays porter la correspondance secrète de Georges à l'escadre britannique ; allant et venant sans cesse entre Jersey ou l'Angleterre. Il transportait aussi les fonds destinés aux troupes insurgées en sûreté dans les cachettes souterraines de La Forest. C'est sans doute de ces dépôts d'or anglais à Locoal qu'est née la légende du « trésor de la Forest ».
Én ur park tri-horneg Éma eur er Chouaned. Er bazenn e zo én héol (Dans un champ triangulaire, se trouve l'or des Chouans. La pierre est au soleil.).
Homme de confiance de Cadoudal, nous avons vu qu'il le désigna en 1795 pour aller au devant de la flotte britannique amenant l'armée des émigrés à Quiberon.
Voici un épisode extrait de la « Biographie de J.-M. HERMELY » (1933) par son arrière petit-fils, J.-M. François Jacob et qui concerne Guyonne, « douce et jolie travailleuse » ; la femme d'Hermely. « En 1797, un peloton de Bleus vint à Kerdreven demander à Guyonne de leur dénoncer, sous peine de mort, la cachette de son mari. Elle refuse. Elle est emmenée aussitôt en sabots traînant sur des chemins remplis de neige ses trois enfants dont le plus jeune était encore à la mamelle...
La voilà à Auray, devant une commission révolutionnaire. « Où est votre mari ? - Je ne le sais pas- Si ! Vous le savez. » Et s'armant d'une hache, un sous-officier lui prend la main gauche où brillait une modeste alliance en argent et la pose sur un billot. Les enfants terrifiés jettent des cris. Un officier, du nom de Lesausse, intervient et donne ordre de relâcher la pauvre femme. »
Au lendemain de la petite chouannerie à laquelle il ne prit pas part, Hermely jeta son dévolu sur le pays de Locoal qui lui rappelait tant de souvenirs et il vint s'y fixer. Il avait acheté au village de Kerguinen, près du bourg, une modeste propriété avec les sept fermes y attenant. C'est là qu'il passa le restant de ses jours, de 1830 à 1850. Il habitait une maison trapue, aux murs épais, qui existe toujours. Aimé de ses fermiers et respecté de tous les Locoalais, les gens l'appelaient : « En Eutru Hermely » (Monsieur Hermely).
Malgré ses titres et ses décorations, il vécut simplement en compagnie d'une servante et d'un vieux domestique. Chaque lundi, on le voyait se rendre au marché d'Auray dans sa carriole tirée par un petit cheval.
Volontiers, à la saison de la chasse, il allait tirer le canard dans les palus et le lièvre à travers champs. C'était un habile chasseur. Il montrait avec orgueil le fusil estampillé aux armes royales et dédicacé, dont lui avait fait cadeau le roi Louis XVIII... Par ailleurs, il avait de longs entretiens sur la Chouannerie avec son ami l'abbé Kersaho, recteur de Locoal.
Sa femme étant décédée au Port-Louis en 1826, alors qu'il était commandant d'armes de cette place forte, sa petite-fille Adélaïde Le Bouédec vint lui tenir compagnie et diriger sa maison, vers 1845. Comme un ange de bonté, cette personne pleine de délicatesse s'efforça d'adoucir la tristesse de ses derniers jours.
Le vieux Chouan n'avait connu aucune maladie durant sa longue vie, malgré ses terribles conditions d'existence de 1792 à 1802. Le 9 octobre 1850, âgé de 81 ans, Jean-Marie Hermely rendit son âme à Dieu en son manoir de Kerguinen. Locoal recueillait le dernier souffle du dernier des chefs de la Chouannerie bretonne et ses restes mortels allaient reposer à l'ombre du vieux sanctuaire de Saint-Goal, en cette terre qu'il avait si souvent arpentée durant les sombres jours de la Révolution.
En parcourant les sentiers de « l'île du bonheur », le visiteur pourra tout à son aise se remémorer les faits historiques qui s'y sont déroulés et que nous venons de relater brièvement.
A l'occasion du remembrement des terres communales de Locoal-Mendon, le domaine de la Forest risquait d'être saccagé. Grâce à de multiples interventions, on a réussi à le préserver du nivellement moderne et à lui conserver son caractère de site exceptionnel. Il a été procédé, en 1971, à des travaux d'aménagement qui se poursuivent. Un ancien chemin, long d'un kilomètre, bordé de larges talus et de belles pierres, a été débroussaillé. Il conduit le visiteur des « caches de Cadoudal » jusqu'aux falaises qui surplombent le bras de mer d'Étel. Ce chemin pittoresque prend son départ près de deux curieuses fontaines, d'un vieux puits à margelle et de la ferme naguère exploitée par les familles Bruzac et Le Bayon.
Les bâtiments vétustes seront restaurés tout en gardant leur couverture de chaume et leur aspect d'antan (?) Toute nouvelle construction sera interdite.
Ainsi
La Forest gardera, nous l'espérons, son visage historique, sa
beauté sauvage, ses souvenirs et son recueillement pour la plus
grande joie des âmes méditatives, des amants du passé
et des esprits curieux de vieille histoire locale. En flânant
sous les ombrages des grands arbres qui ont vu défiler et se
faufiler les Chouans, le visiteur se croira transporté à
un autre âge et cette oasis de verdure enlacée par le bras
de mer sera véritablement pour lui le pays du rêve,
"L'ÎLE DU BONHEUR".
Ce texte est issu d'une monographie, encore disponible à la vente en l'église de Locoal, réalisée en 1994 par Meriadeg Herrieù, alors recteur de Locoal et l'abbé Tallec. Les illustrations sont reprises de cette monographie et complétées par des photos provenant des collections de la mairie de Mendon, les légendes sont du webmestre. |